Résumé
Au coeur de l’Amérique profonde, deux petites filles noires s’inventent une autre vie, plus riche, plus drôle, plus libre surtout que la dure réalité qui les entoure. L’âge venant, Sula la rebelle part rouler sa bosse dans les grandes villes alors que Nel, la sage, accomplit sa vocation de mère et d’épouse.Quarante ans après, elles font leurs comptes, s’opposent et incarnent chacune à sa manière la farouche énergie de la femme noire face aux hommes si vulnérables.
Mon avis
Bien que les personnages soient des femmes noires et pauvres dans un lieu qui a disparu, il y a un sentiment d’universalité qui se dégage à la lecture de ce livre.
J’ai trouvé passionnant que Toni Morrison fasse revivre ces quartiers, là en l’occurrence une colline, où la communauté noire était reléguée dans les années cinquante. Ces lieux appartiennent à l’histoire. Ils ont disparu remplacés par des centres commerciaux.
L’autrice nous conte la vie dans ce quartier à travers une famille et trois génération de femme. La vie de chacune de ces femmes sera dure. Elles se débattent pour élever leurs enfants dans la violence et la misère. Dans ces familles décomposées, les hommes sont absents. En gestation, il y a cette idée de la double peine. Etre femme et noire dans une société où les hommes et les blancs dominent est rude.
L’écriture est poétique. Sous la beauté du langage, la violence n’est jamais loin. Le réalisme magique entoure d’un halo d’étrangeté ces histoires. Le mauvais oeil est omniprésent. On se méfie des femmes comme Sula trop belle, trop libre que l’on traite de sorcière.
Sula revendique trop brutalement sa liberté, remet en cause les habitudes de ces hommes et de ces femmes noirs. Malgré le déterminisme social qui pèse sur ces individus, ils s’avèrent dans le fond très conformistes.
Il y a quelque chose de sombre et de noir à l’intérieur de Sula. La lignée de femmes dont elle est issue s’est comportée sans respecter les codes voire les lois. Il y a là la grand mère unijambiste et la mère sexuellement libérée. Sula franchit le pas de trop, celui qui conduit au rejet. Quelque chose d’obscur fait peur dans Sula, comme sa violence et son manque total d’empathie.
Le livre explore aussi l’amitié de deux filles, Sula et Nel. Cette relation fusionnelle va évoluer. Les amies vont s’éloigner. L’une choisit une vie conformiste alors que l’autre reste libre. Toutefois, leur lien est très fort comme si elles n’étaient que les deux faces d’une même médaille.
Le personnage de Sula sera resté pour moi un mystère. Je me suis même demandée si elle existait vraiment où si elle n’était pas elle aussi un personnage surnaturel. Sa liberté me semble imprégnée de sang gêne. Elle ne craint pas par exemple de briser la vie de sa meilleure amie. Elle est peu sympathique, trop dure, trop égoïste, mais fascinante comme la marque sur son œil.
Quelques belles citations
La grand-mère avait écarté Hélène des lumières tamisées et des tapis à fleurs de la Maison et l’avait élevée sous les yeux douloureux d’une vierge multicolore, lui conseillant surtout de prendre garde au sang brûlant hérité de sa mère.
…la forme évoquait une rose avec sa tige. Elle donnait à son visage par ailleurs banal un air de passion brisée, de menace bleu acier, comme la balafre au rasoir d’un homme…
Aurait-elle eu des couleurs, de l’argile, connu la discipline de la danse ou du violon, …qu’elle aurait pu troquer l’instabilité et le règne du caprice contre une activité lui procurant ce qu’elle désirait si fort. Ainsi, comme toute artiste dénuée de moyen d’expression, elle devint dangereuse.